Des mots, une histoire 55
Les mots imposés pour ce 55ème Des mots, une histoire sont : cactus – documentaire – blasphème – chérir – pie – pimenter – matin – ressenti – gel – graine – bronchiolite – fromage – sarabande – mordant – gage – épaulette – dérision – givre – précipice – otarie – patinoire – nuit – excédent – frénétique
Je me sens comme un cactus : rempli d'eau et intouchable car bardé de piquants. Mes vestes ont toutes des épaulettes. Ainsi je parais costaud, armé contre les difficultés. Mes costumes-cravates disent "je suis avocat, je suis sûr de moi".
Pourtant, ce matin, ma vie me parait aussi floue que le décor vu à travers mon pare brise constellé de givre. Le froid est mordant, paralysant; la route transformée en patinoire par le gel.
En arrivant au cabinet, j'entends ma secrétaire, bavarde comme une pie, évoquer la bronchiolite du petit dernier en tapant sur le clavier de manière frénétique. Puis elle blasphème à cause de la photocopieuse en panne et de l'excédent de poids qui l'empêche de rentrer dans son 36.
Mon collaborateur me parle d'un documentaire sur les otaries qui lui a inspiré sa plaidoirie du jour. Olivier et moi on tourne tout en dérision. C'est notre façon à nous de supporter l'enchaînement des jours, de pimenter le quotidien.
Je chéris le moment béni où je quitte le cabinet et chausse mes baskets. Je cours à en perdre haleine sur un tapis en caoutchouc. Je crois toujours que cela va réussir à faire taire la sarabande dans mon cerveau, à m'éloigner du précipice au bord duquel je suis, à étouffer tout ressenti. Cela ne fonctionne pas, j'en perds le sommeil toutes les nuits.
Je me concentre tous les matins sur le pain multigraines recouvert de fromage avalé avec mon café. Plus de confiture, chrononutrition oblige. Aucune méditation possible sur ce quignon, cette affaire m'obsède.
Pourtant j'en ai défendu des escrocs, des tueurs à gages et des serial killer mais c'est la première fois que mon client s'en prend à des enfants. J'ai longuement réfléchi mais cette fois, c'est décidé, je quitte le barreau, c'en est trop.
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