une longue impatience 

Ce roman de Gaëlle Josse, je tournais autour depuis longtemps. Sans franchir le pas, sans oser l'acheter ni l'emprunter. Je craignais l'ambiance lendemain de seconde guerre mondiale dans un village de Bretagne et surtout la tristesse de cette femme qui attend son fils de 16 ans parti sans laisser d'adresse.

Charlotte avait tellement aimé ce récit et Madeline avait carrément qualifié cette lecture d'indispensable. J'ai donc fini par l'acheter pour mes vacances en Corse au mois d'août dernier.

Je l'ai emmené dans mes valises mais je lui ai préféré "La délicatesse du Homard" dont les pages se souviennent encore de l'eau salée qui les a gondolées. Bref, je ne l'ai pas ouvert craignant d'assombrir un ciel d'été sans nuage. 

C'est à l'automne que j'ai enfin décidé de me plonger dans ce livre à la couverture sépia. La mousse des cafés réconfortants, l'envie d'une écriture précise et émouvante, l'enfant qui grandit dans mon ventre, je ne sais ce qui a été déterminant...

Toujours est-il que je ne l'ai pas dévoré d'une traite pour ne pas le quitter trop vite. C'est un beau, un très beau roman qui dit la douleur d'une mère dont l'enfant est parti sans plus jamais donner de nouvelles. 

Nous sommes au lendemain de la seconde guerre mondiale, en Bretagne. La mer a pris le premier mari d'Anne. Le bateau de pêche d'Yvon a sombré sans que son corps soit retrouvé. De leur union Louis était né. Anne a du apprendre à vivre seule avec son fils. Jusqu'à la rencontre avec Etienne, pharmacien du village, qui a promis d'aimer et chérir le duo, la mère et l'enfant. Quelque chose a basculé lors des naissances de Gabriel puis Jeanne. Louis est l'enfant de l'autre. Un intrus qui doit se montrer discret et soumis. Le coup de ceinture de trop et Louis s'en va conformément aux souhaits inavoués du beau père. 

Anne est dévastée, perdue, désemparée. Elle écrit à Louis des lettres qu'il ne lira jamais. Elle lui conte par le menu le festin qu'elle lui cuisinera à son retour. Elle se tient debout chaque jour et attend son enfant. Elle revisite le passé, veut comprendre ce qui a pu déclencher son départ, en veut à Etienne de ne pas avoir tenu ses promesses, d'avoir écarté cet enfant qui n'était pas le sien. 

Je ne vous en dis pas davantage si ce n'est que l'écriture de Gaëlle Josse toute en pudeur et en émotions bouleverse. Je vous invite à le lire comme l'ont fait Charlotte et Madeline. Parce qu'en effet savoir poser des mots si délicats et si justes sur ce qu'être une mère veut dire est de l'ordre de la magie. 

Je pourrais vous extraire des tas de passages aussi beaux les uns que les autres. Il a fallu choisir. 

"Seize ans, à vif. Le temps de tous les tourments, des désordres, des élans, des questions, des violences contenues qu'un mot heureux pourrait apaiser, des fragilités qui n'attendent qu'une main aimante. L'âge où tout est prêt à s'embraser, à s'envoler ou à s'abimer. Je le sais, je suis passée par là. Les grandes marées du coeur. (...) Il faut du temps pour se déchiffrer à ses propres yeux. (...) Louis avance dans cette zone incertaine, entre le rejet et l'espoir, entre la défiance et une terrible envie d'être aimé. Comme nous tous." page 24

Page 147 : "Car toujours les mères courent, courent et s'inquiètent, de tout, d'un front chaud, d'un toussotement, d'une pâleur, d'une chute, d'un sommeil agité, d'une fatigue, d'un pleur, d'une plainte, d'un chagrin. Elles s'inquiètent dans leur coeur pendant qu'elles accomplissent tout ce que le quotidien réclame, exige et ne cède jamais. Elle se hâtent et se démultiplient, présentes à tout, à tous, tandis qu'une voix intérieure qu'elles tentent de tenir à distance, de museler, leur souffle que jamais elles ne cesseront de se tourmenter pour l'enfant un jour sorti de leur flanc."

Page 15 " Au lit, maintenant, les enfants. Je les accompagne jusqu'à leur chambre, où j'arrange une couverture, regonfle les oreillers, propose une peluche, ramasse un livre, un jouet à terre. Non, pas d'histoire ce soir, il est tard. Oui, je laisse la lumière dans le couloir, promis. C'est le temps des mots secrets, ceux qui permettent de dénouer la journée, de la reposer dans ses plis avant de la laisser s'enfuir, se dissoudre, c'est le temps d'apprivoiser la nuit, c'est le temps des mots sans lesquels le sommeil ne viendrait pas.Je plonge le visage dans la tiédeur des cous, des oreilles, des bras qui veulent me retenir, des doigts légers, un peu collants, qui caressent mes joues, je sombre dans la douceur des cheveux lavés, du linge frais. Chut maintenant. Il faut dormir. "

 

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L'avis de Noukette.