Une photo, quelques mots (83)
Il a l'air absorbé cet homme là. Il a l'air soucieux de ce qu'il va trouver dans cette lettre. L'expéditeur : sa fille. Il ne l'a pas revu depuis qu'il est parti. Alors il serait heureux qu'elle ait glissé une photo. On change en 20 ans. Lui, il a pris vingt kilos. Il est tronculo comme dit son endocrino. Il a le ventre rond comme un ballon.
Sur l'enveloppe, il a reconnu l'écriture de Solenn, penchée, ambitieuse et nerveuse. Il a gardé le courrier clos jusqu'à ce banc, son banc. Celui sur lequel il a parfois dormi. C'en est fini de cette vie. Il a enfin un toit. Et une boite aux lettres bien à lui. Et une fille quelque part. Une fille qui lui écrit alors qu'elle avait tellement honte de lui jusque là. Il sait qu'elle a préféré prétendre qu'il était mort. Il ne peut pas lui en vouloir. Il avait touché le fond, sombré dans l'alcoolisme, cessé d'espérer et de se laver. Il se dégoûtait lui même. Alors il la comprend sa douce Solenn...
Il espère que dans cette lettre elle demande à le revoir. Il espère que ses mots seront doux, chargés d'amour malgré tout et de pardon. Un effacement d'ardoise en quelque sorte. Un coup d'éponge.
Il décachette l'enveloppe avec peine parce que ses doigts sont engourdis par le froid et ses mains tremblent.
Aucun parfum de Jasmin ne se dégage de la feuille de papier pliée en quatre. Il y a peu à lire, il craint le pire. Rien de manuscrit, des caractères tout droit sortis d'un traitement de texte.
Un papier à en tête qui le fait frémir, Tribunal d'Instance. Une signature qui lui fait froid dans le dos, celle d'un Juge des tutelles. Une carte bristol qui l'accompagne. Les pleins et déliés de sa fille : "Papa, la demande de curatelle a été acceptée. J'ai fait ça pour te protéger, ne m'en veux pas. Solenn."
C'était ma participation à l'atelier de Leiloona.