La battue de Gaël Brunet
J'ai lu ce roman presque d'une traite : la première moitié dans le tgv de retour du salon du livre et la deuxième le lendemain matin. Oui, car entre les deux, il m'a fallu dormir. C'est rude.
Je vous conseille d'entamer "La battue" avant la tombée de la nuit pour ne pas la laisser vous interrompre dans cette belle lecture.
Je l'ai quasiment relu aujourd'hui (avec l'heure d'été, je n'allais pas me faire avoir cette fois) avant de faire mon billet.
Pour vous livrer mon ressenti, j'ai du tordre les mots dans tous les sens comme Olivier dans ce roman. Je voulais trouver les bons.
Il est des auteurs talentueux pour vous immerger dans une ambiance. Gaël Brunet est de ceux-là.
Dans "la battue", elle est pesante. On y étouffe dans ce chalet familial de Savoie.
On a envie d'hurler aussi fort que ce père et ce fils se taisent. Envie de leur dire "aimez vous et arrêtez de vous faire du mal, percez l'abcès quitte à laisser la plaie s'ouvrir à nouveau".
On ressent tout à la fois la tension qui monte et la colère sourde qui bouillonne à l'intérieur comme un torrent en fin d'hiver chargé par la fonte des neiges.
Olivier a fui ses Alpes natales il y a des années.
Sa première tentative de retour aux sources, il y a 5 ans, fut un tel échec qu'il se jura de ne plus y remettre les pieds.
Jusqu'à la lettre de sa douce maman, femme diplomate et patiente, l'invitant à venir enterrer la hache de guerre.
Pour ce qui est d'enfouir sous terre, on peut dire que cette famille a du talent. Elle en a jeté de nombreuses pelletées pour recouvrir un lourd secret et son cortège de souvenirs douloureux. Elle a tassé et construit muret.
Il faut donc s'outiller pour libérer le flot de sentiments ainsi endigué. Et s'armer de courage aussi.
Olivier se résout tout de même à emmener sa douce Anouk dans ce drôle de guépier. Il appréhende. Il imagine. Il est loin du compte.
Dans ce roman, les gorges, les ventres et les cerveaux font des noeuds, comme le lambris du plafond, et tout semble pris dans un étau.
Tirer sur les fils ou dessérer les écrous c'est prendre le risque que la fragile contruction s'écroule, que le barrage cède. Personne n'ose.
Ces liens à dénouer et renouer c'est presque une affaire de couture, pas étonnant que les femmes impulsent le mouvement...
Je ne peux pas vous en dire beaucoup plus sans vous gâcher le plaisir de lire.
Je m'éclipse et je laisse le soin aux personnages de lever le voile eux-mêmes.
Je peux juste vous dire que j'ai intimement aimé ce roman qui se ressent.
Que j'ai aimé retrouver cette écriture faite de pudeur et de sensibilité. ("Tous les trois" m'avait conquise pour cela)
Que mes yeux se sont embués comme ceux de la mère dans les derniers chapitres.
Que j'ai fini par ne plus détester ce rustre de père aux poings serrés et aux yeux revolvers qui semble n'utiliser son coeur que dans sa fonction première : pompe vitale.
Qu'avec lui, j'aurais volontiers mordu pleine dents dans une tartine de fromage et enserré de mes mains un bol de café fumant dans sa cuisine.
Que j'ai loué le bon sens du cafetier et la bienveillance de ce couple chez lequel on peut se réfugier en cas de tempête parentale.
Que j'ai adoré Anouk, brune solaire dont la lueur dans l'iris ne faiblit jamais. Que j'ai aimé leurs gestes d'amoureux à elle et à Olivier.
Que je suis embêtée pour vous citer des extraits, j'en ai relevés trop.
"Je crois que le cerveau sait faire cela pour nos failles les plus intimes. Geler nos brèches à défaut de pouvoir les refermer. Pour l'avoir longtemps cherchée, je sais que la fonction reset n'existe pas. On n'oublie jamais."
"J'en venais à croire [...] que dans la vie, il y avait deux espèces bien distinctes : ceux qui apparaissaient toujours sur le papier glacé et puis les autres, derrière les appareils."
"Par ses mots tranchants ou son silence acéré, mon père abimera la rencontre. Il tuera aussitôt dans l'oeuf toute possibilité de sérénité familiale."
"Je pense à Anouk, libre comme l'air. Elle s'est toujours revendiquée ainsi depuis que nous nous connaissons. C'est ce qui m'a plu en elle, la force de sa liberté. Elle prend le plus grand soin à s'affranchir de tout, surtout des chaînes affectives".
"Anouk est mon présent et mon avenir. Elle anime ma vie et gomme les effets du passé."
Libellune non plus n'a pas pu lâcher ce deuxième roman de l'auteur une fois ouvert et a aimé "cette belle plume souple, forte, qui trace les silhouettes, retourne l'envers du décor, sublime le personnage en l'ouvrant comme un nymphéa jusqu'à atteindre son coeur. Une réussite. Alors Gaël, jamais deux sans trois !"