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Les facéties de Lucie
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25 février 2013

"Ciseaux" de Stéphane Michaka

ciseaux 

Rien à couper dans ce roman. Tout est bon et cela se lit volontiers à voix haute tant les dialogues et la mise en scène sont brillants.

Oui, on jurerait que je parle d'un film ou d'une pièce de théatre mais c'est justement le talent de Stéphane Michaka de produire cette impression. Il donne à voir et à entendre avec ses mots si bien choisis. Il met en images comme savait le faire Raymond Carver.

Son roman est librement inspiré de la vie de ce novelliste américain. J'ignorais l'existence d'un conflit entre Carver et son éditeur à cause des coupes systématiques qu'il opérait dans ses textes avant de les publier. Je l'ai découvert en lisant Ciseaux. 

L'éditeur ici, c'est Douglas. Il élague, coupe et reécrit les nouvelles de Raymond. Il se défend d'être Dieu mais a remplacé la fenêtre de son bureau par un vitrail d'Eglise et se prétend créateur d'une nouvel école : celle du minimalisme.

Raymond, novelliste alcoolique, s'inspire très largement de sa vie lorsqu'il écrit. Ses textes tournent autour de thèmes qui lui sont chers et familiers : la deliquescence du couple, les mensonges et faux semblants, la solitude, l'abandon, la lâcheté. Ses personnages sont tous à la dérive, ont des rêves jamais réalisés, des vies étriquées, des addictions compensatrices (alcool, tabac, femmes). Il prône la sincérité dans l'écriture quand son éditeur préconise de la fuir.

Les femmes de sa vie se mettent au service de son écriture : Marianne, 20 ans de mariage, mère de ses deux enfants arrivés trop tôt, met de côté ses ambitions et cumule les boulots ; Joanne, la poétesse rencontrée après son divorce, l'aide à corriger ses manuscrits. Elles croient en lui, le protègent à leur façon, souhaitent qu'il cesse de boire et se font défenseuses de son oeuvre qu'elles n'aiment pas voir mutilée par Douglas. 

Ce roman est un coup de coeur et en le refermant je n'ai qu'une envie lire Raymond Carver !

Belle réflexion sur ce qu'est la fiction, "le réel avec un pas de côté" selon Douglas et son rôle cathartique.

On sait combien les récits imaginés sont empreints de la vie de celui qui les écrit. Ceux de Raymond Carver sont parfois un copié collé de scènes réellement vécues. Il met à distance ces démons en les posant sur le papier. 

L'entourage de l'auteur est tenté de chercher sous quels traits il apparait (cela me fait penser au roman d'Hubert Nyssen, "le bonheur de l'imposture" dans lequel un homme cherche dans les écrits de sa mère des clés de compréhension de leur relation, mais également au roman de Erwan Larher). Quête dangereuse puisque les faits sont forcément sublimés, modifiés, déformés pour devenir fiction.

Eloge de la concision en écriture. Si Douglas y va parfois un peu fort avec les textes de Raymond, il est certain qu'une fois la matière première étalée, il faut impérativement raboter, couper, poncer un texte pour n'en garder que la substatifique moelle et retirer le superflu qui en noie l'essence. Garder le mot juste pas le mot de trop. 

L'auteur doit se faire équarisseur de ses textes. Pas question de charcuter, juste de dégraisser. Un vrai métier de bouche !

Extraits : 

"Dans le métier, on m'appelle Ciseaux. [...] Ma réputation je la dois à mon coup de ciseaux, mon habileté à tailler dans les textes que je publie. Mais il y a autre chose: ma façon, sous un mot, d'en découvrir un autre. Plus net, plus précis. Une incision qui libère ce que la phrase enfouissait."

"C'est une image, n'en abusez pas. Une image est un grain de beauté, près d'une autre elle devient verrue."

"Parfois la meilleure chose qui puisse arriver, c'est de ne pas avoir le choix."

"Tant que j'écris, je reste en vie".

"Il n'a jamais cessé de parler de nous. Il rouvre nos blessures. Il les exhibe et le monde entier applaudit. On appelle cela de la fiction mais on oublie qu'il y a des gens derrière. On oublie les éléments de la fiction".

Bruno Corty du Figaro a aimé aussi ce roman "écrit au millimètre, sans fioriture avec des mots simples et justes, à lire tout autant qu'à dire."

A lire "Raymond Carver : les mots pour tenir" de Martine Laval pour Télérama.

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Commentaires
I
Un roman très riche. J'ai adoré !
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Y
Si tu nous dis que c'est un coup de coeur, je vais voir si je peux le trouver ^^ on en reparlera peut-être ^^
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G
Tu en parles avec une telle fougue et des comparaisons si évocatrices qu'il est impossible de ne pas noter!
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I
C'est un des rares titres de la rentrée littéraire de septembre que j'avais notés sur ma liste. Le père Noël ne l'a pas retenu dans sa "hit list" finale mais je ne désespère pas de le lire un jour :-)
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