liane

Je viens de refermer "Le corps de Liane" et suis encore étonnée de m'être attachée à cette famille de douces-dingues dont les tocs semblent se transmettre de mère en fille sans qu'aucun homme ne trouve sa place dans cette gynécée. Ils sont italiens, violents et absents ou bien imaginaires, parfois inspirés des personnages de Dallas.

Quatre générations de femmes pour qui enfanter n'est vraiment pas la panacée : Liliane, en maison de retraite, qui a oublié les prénoms de ses filles sans qu'on soit vraiment sûr que cela soit uniquement attribuable à la maladie d'Alzheimer ; Huguette qui se gave de galettes (elle déteste la frangipane) pour donner les fèves à Catherine sa fille, dépressive. Enfin Liane, la fille de Catherine, qui a reçu en héritage toutes les manies de propreté et d'ordre des précédentes augmentées de la peur de vomir, de la hantise des fautes d'orthographe, de l'obsession de tout consigner dans des cahiers.

Des petites mangeuses ces femmes là (et certainement pas d'hommes) malgré l'obstination des mères à les remplir. Des seins, des hanches, des fesses, des poils, des règles avec lesquels il faut composer. Une féminité omniprésente dont elles ne savent que faire. Roselyne, la meilleure amie de Liane, a fabriqué le talisman : une fleur en crochet qui donne le pouvoir de s'assumer en tant que femme. 

Autour de ce quatuor, dont la maternité n'est pas si instictive, gravite la famille de l'épicier arabe du quartier. Un enfant mort enterré au pays, un autre qui se maquille et aime lire, ça fait beaucoup pour deux mamans. 

Et puis il y a Eva la femme de ménage et sa fille Armelle, son impossible de fille. Détestable, insolente, vulgaire, attachiante. 

En musique de fond, car sur la télé de tous,  "Dallas, ton univers impitoyable". Des échantillons de parfums, des fromages, des livres, beaucoup de livres. 

Voilà vous avez les ingrédients qui composent ce roman qui m'a beaucoup plu.

Des personnages foutraques, singuliers, attachants. Des casseroles à trimballer, des peurs héritées dont il faut se débarasser, des livres qui offrent de si belles parenthèses et donnent tant de force.

Ce roman évoque, sans complaisance, la difficulté d'être femme, de se sentir femme, de devenir mère, de l'être sans empêcher sa propre fille de devenir femme, sans lui transmettre trop de névroses. Un livre qui laisse une empreinte durable et questionne notre propre vision de la féminité et de la maternité.

(Lorette, je me demande s'il n'est pas écrit pour toi celui-là !)

Extraits : "Les livres effrayaient Ghania à un point indescriptible. Elle ne s'en approchait jamais à moins de deux mètres. Les livres étaient des objets maléfiques, qui vous pourrissaient l'âme et le bout des doigts. Leur couverture était en peau d'homme. Ils contenaient des mensonges et des formules diaboliques. Leur pouvoir était redoutable."

"Arrête de dire Heu. Quand on dit heu tout le temps, c'est qu'on s'excuse de vivre."

"Quatre mois aujourd'hui qu'elle avait accouché de son fils. Quatre mois que son fils était mort. Il n'avait jamais vécu en dehors de son utérus, pas un seul jour. La destinée humaine manquait d'allure parfois."

"Pendant que Liane parlait à son arrière-grand-mère, Achraf lisait. Il venait de découvrir les livres. Son esprit s'isolait dans les dédales d'une histoire et il devenait invicible. Rien ne pouvait plus l'atteindre. Achraf était ailleurs. Il devenait de plus en plus résistant, de plus en plus libre."

"Liane absorbait chaque mot que prononçait sa grand mère et se pelotonnait au coeur de ces mots-là en ignorant le reste. Les mots d'Huguette étaient un refuge idéal."

"Il fallait se donner du mal pour être une bonne mère. Cela ne tombait pas tout cuit."