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Les facéties de Lucie
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9 février 2013

"L'abandon du mâle en milieu hostile" de Erwan Larher

mâleUn homme, une femme, chabadabada, chabadabada...Non, ce n'est pas aussi simple que ça dans ce roman là. La jeune femme est une punk aux cheveux verts et aux idées subversives, le jeune homme un fils de notable pantouflard. 

Elle est du genre qu'il déteste, il est du genre qu'elle ne remarque même pas. 

L'homme d'agacé devient pourtant fasciné par la désinvolture de cette créature. Ses courbures y sont certainement pour quelque chose. Toujours est-il qu'il brûle d'amour pour elle et tente toutes les statégies pour la séduire y compris le "fuis moi, je te suis". Il use du mépris distant en vain et finit par provoquer le destin.

Une fois le bonheur en place et de peur qu'il ne s'écroule comme un château de cartes, il tolère tout : les absences répétées, le manque d'implication dans les tâches ménagères, le côté lunatique et la grande part de mystère qu'elle cultive. 

Il se coule dans le moule parental, elle poursuit son idéal et écrit des romans. 

Il accepte le monde tel qu'on lui sert, elle veut renverser l'ordre établi.

Il règne entre eux un déséquilibre manifeste des convictions. 

A mi-livre, la révoltée sort de scène et une phrase de l'homme annonce qu'on change d'éclairage.

Notre rumineur n'en finit pas de se poser des questions. Il revisite le passé à la lumière des révélations.

L'envers du décor destitue l'idole, l'homme dégringole. Il remue le couteau dans la plaie pour en comprendre l'origine. Il en bave, vraiment. 

Ce roman m'a ferrée par l'écriture viscérale provoquant réaction quasi épidermique. Parce que tout de même c'est l'histoire d'une passion dans tout ce qu'elle a d'excessif et de douloureux.

Récit prenant par les questions qu'il soulève et qu'on se pose comme le narrateur (sans boire autant d'alcool que lui) et les réflexions qu'il fait sortir des pages et qui vous poursuivent une fois le roman refermé.

Faut-il rester dans le droit chemin pour mener une vie tiède ou emprunter le sentier de traverse pour existence bouillante avec risque de brulûre ? 

Est-il si confortable de marcher dans les pas du père ? (Insurrections singulières de Jeanne Benameur) de se couler dans le moule sociétal, familial ? Ne risque-t-on pas de se nier, se perdre de vue, se tromper soi-même ?

Connait-on vraiment la personne avec laquelle on vit ? Est-il nécessaire de lever le voile sur le mystère de l'autre ou faut-il garder ses oeillères ? (l'attentat de Yasmina Khadra)

L'écrivain donne t-il des clés qui ouvrent la porte de son univers intérieur dans ses romans ? L'entourage peut-il y déceler des indices ou bien le récit est-il trop teinté de fiction pour y trouver une vérité ? (Le bonheur de l'imposture de Hubert Nyssen)

Pas angélique, pas noir non plus, une franche lucidité sur notre humanité, son immobilisme et ses excès, sa capacité de résilience non sans résignation et regrets.

Un roman qui donne envie d'aller au bout de ses idées quitte à se brûler les ailes. 

Note pour moi-même : On joue trois fois avec le feu dans mon billet : "il brûle d'amour", "risque de brulûre" et "quitte à se brûler les ailes". Et les braises ne sont toujours pas éteintes. Suffirait de souffler dessus pour que les flammes reviennent. Incandescent je vous disais.

L'avis de Charlotte (j'ai lu ce livre sur ses conseils) à qui les mots d'Erwan font beaucoup d'effet :  "picotements dans les yeux, papillons dans le ventre, frissons" et qui font légèrement dévier son axe de rotation.

L'avis de Clara qui a pris le roman comme un uppercut en plein ventre. 

Keisha a été sonnée et empêchée parfois de respirer.

On devrait peut être mettre un avertissement, oui, du genre : lire Erwan Larher peut provoquer de graves turbulences dans votre ciel.

On ferait une petite démo pour expliquer à quel moment les masques à oxygène vont dégringoler du plafond et comment s'en servir, comment retrouver la terre ferme à l'atterrissage en empruntant le tobboggan gonflable. Bref, il nous faut une hôtesse de l'air avant d'embarquer dans la lecture de ce roman. Des candidates ? (si vous avez les cheveux verts ce n'est pas gênant)


Extraits parmi tant relevés : "On planque ses plaies, qui derrière sa grande gueule, qui derrière sa posture bravarde, qui derrière un nimbe de mystère, tous derrière la fumée des cigarettes. Que gagnerait-on, d'ailleurs, à se l'avouer ? Faire semblant pour survivre, finir par croire à son rôle, devenir son masque."

"la lucidité n'est pas reversible"

'Je t'aimais croissant. Je ne te parlais jamais d'avenir, de lendemains, me forçant à me contenter du présent. C'était assez, c'était bien assez, c'était bien. Tellement bien."

"J'avais échoué à réguler mon attirance, j'étais échoué sur ton rivage. Noyé dans mon naufrage [...] alors que j'avais jusqu'ici toujours, à la barre, louvoyé avec habileté entre les recifs des pulsions, évité les courants émotionnels. La soirée passée ensemble m'avait définitivement fait perdre mon cap. Les éléments seuls désormais contrôlaient mon radeau; tes éléments".

 

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Commentaires
N
Quel titre...! Rien que ça, ça me donne envie !
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K
Oh alors il faut que tu lises Autogenèse, c'est pour toi!
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S
Je vais le reçevoir dans le cadre de l'opération masse critique de Babelio. Je suis chanceuse ! C'est chez Clara que je l'ai repéré d'abord.
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A
Ah ben dis donc, j'ai envie de suffoquer aussi maintenant ! ;)
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L
@keisha : pas seulement radiographie d'une époque mais vraie réflexion sur celle que l'on vit en filigrane et qui semble si tiède en comparaison. On tait nos convictions, on fait moins de vagues...
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