Une photo, quelques mots (53)
Et voilà que ça recommence, à peine sortie de chez moi. Il est 10h, c'est un matin de semaine, ce n'est pas mercredi, ce n'est même pas encore les vacances scolaires et pourtant : il faut que je croise la route d'un enfant...Il ne va pas à l'école celui-là ?
En ce moment, j'ai l'impression qu'il n y a plus que ça, des enfants, partout.
Je déjeune dans une brasserie, tu peux être sûr que le serveur amène une chaise haute pour la table pile à côté, pour le bébé. Je vais chez le médecin et dans la salle d'attente une petite fille veut absolument que je joue avec elle. Au supermarché, un bambino assis dans son caddie tombe amoureux de moi et ses yeux aux grands cils me fixent intensément.
Je revois des amies de lycée, elles ont toutes deux enfants minimum et n'ont que leurs prénoms à la bouche. Quand elles comprennent que je n'ai même plus de géniteur potentiel dans ma vie, elles me glissent sérieusement : "en même temps c'est pas grave, toi tu veux pas d'enfants". Ha bon ? C'est écrit sur mon front ?
Et les voilà lancées dans le récit détaillé des levers, des couchers, des caprices, des siestes, des progrès à l'école, du dernier match de foot de l'aîné. Leurs mots sont alors gonflés de fierté mais le plus souvent elles ralent, pestent et soufflent. Elles n'ont plus le temps de rien, j'ai bien de la chance, moi, d'avoir le temps de faire du sport.
En même temps, elles sont rassurées d'avoir construit cette vie normale et me toisent moi l'eternelle célibataire, l'originale. Elles suivent de loin mes histoires de coeur, n'osent plus me demander si j'ai trouvé le bonheur.
Je suis l'amie sans enfant, celle que l'on n'invite pas trop souvent, celle qui ne peut pas comprendre ce que c'est. Elles ne me disent même plus "tu verras toi, quand tu en auras". Elles m'ont estampillé "égoïste ne voulant pas d'enfant". Et pourtant...
Texte écrit pour l'atelier de Leiloona et inspiré de la photo de Romaric Cazaux