Une photo, quelques mots (50)
Voilà, nous y sommes ma puce.
En sortant de l'école tout à l'heure, tu m'as sauté au cou pour me coller un bisou sur la joue. J'ai pris ton cartable, l'ai glissé sur mon épaule. Tu as pris ma main. En marchant tu as mangé ta pom'pote et chanté à tue-tête des comptines apprises le jour même.
Nous y voilà, au bout du monde, là où la terre s'arrête et où tout semble pourtant possible.
Tu m'as demandé pourquoi je t'emmenais là. Je t'ai expliqué que c'était le grand bain qui faisait peur à papa. Tu as haussé les épaules, tu ne me croyais pas, tu me disais "mais tu sais nager papa !".
Ma puce, ton papa est mort de trouille et ne peut pas te le dire. Il a peur de te perdre, de perdre ton amour, de te faire du mal. Paumé le padre, plus un phare pour l'éclairer, juste une vaste étendue d'eau qui l'attire de manière anormale.
Aujourd'hui, la mer s'est calmée. D'habitude ce sont de gros rouleaux, des vagues immenses qui déferlent sur moi tous les jours et me laissent un sacré mal de tête. Tu ne sais rien de mes migraines. Je me pose tant de questions. Ce soir ça me fait du bien de scruter l'horizon. Retarder le plus possible le moment où je vais retrouver l'enfer à la maison.
Mais comment te dire à toi ma poucinette, que l'amour parfois s'éteint, qu'il n'est ravivé par rien, que l'on a beau souffler sur les cendres, aucun rougoiement n'apparaît. Comment te faire comprendre pourtant qu'il y a des amours qui ne meurent jamais, comme celui que j'ai pour toi ma puce adorée.
Comment éviter la guerre, les cris, les insultes qui saturent l'air, l'hystérie. Dois je vraiment me contenter d'être un père et oublier l'homme que je suis ?
Texte écrit pour l'atelier de Leiloona qui a emprunté cette photo à la très belle galerie de photos en noir et blanc de Romaric Cazeaux.